Propriété Château de MAUVES, Grand vin de Bordeaux, Graves, Gironde, Aquitaine)

Paroles à boire

 
  • 11.Omar KHAYYÀM

Quatrains

Nos corps d'ivrognes ni le vin ni l'escabeau,
N'avons souci d'espoir ni crainte de fléau ;
Nos âmes et nos cours se rient, tachés de lie,
De la terre et du feu, mais plus encore que de l'eau.

Debout ! verse du vin ; pas de creuses paroles !
Ta bouche, ô nuit, sera mon jour car tu m'affoles.
Fais taire avec du vin, rubis comme ta chair,
Mes repentirs pareils à tes boucles frivoles.

Tasse qu'il façonna pour y verser du vin,
Le buveur ne veut pas que l'on te jette au chemin :
Ornements que ses doigts par amour assemblèrent,
En haine de qui donc vous briser de sa main ?

Au printemps si quelqu'être au corps célestiel
Me verse dans les champs un vin plus doux que miel,
Je dis, quand je devrais déplaire à la canaille,
Je serais moins qu'un chien si je pensais au ciel.

Ton âme passera, te quittant sans adieu,
Derrière le rideau des grands secrets de Dieu.
Sois heureux, réjouis-toi... D'où tu viens, tu l'ignores,
Bois du vin... Tu t'en vas tu ne sais en quel lieu.

La sagesse m'a dit, minuit allant venir :
« Le sommeil n'a jamais vu le bonheur fleurir.
« Pourquoi t'abandonner à la mort, à son frère ?
Bois du vin ! N'as-tu pas l'infini pour dormir ?

Bois car tu dormiras sous terre des années,
Sans camarades, sans amis, sans hyménées.
Prends garde ! Ne révèle à nul ce grand secret :
Pas ne refleuriront les tulipes fanées.

Bois du vin, c'est la force, oui, bois à ton envie,
Le seul trésor resté de jeunesse ravie,
Saison des fleurs, des ris, des joyeux compagnons !
Sois heureux un instant, cet instant, c'est ta vie.

Verse à mon cœur meurtri cette boisson féconde
Pour ceux à qui l'amour fit blessure profonde.
Je préfère l'ivresse et ses rêves dorés.
À la voûte du ciel, fond du crâne du monde !

Je bois du vin. Partout on me dit, mais on ment ;
« La religion hait le vin absolument. »
Quoi, le vin saperait la foi religieuse ?
Si c'est le sang d'Allah, j'en bois, pieusement.

Le vin est le rubis, la tasse, son logeur,
Corps dont le vin est l'âme à la gagnante ardeur,
Casse de fin cristal où la vigne miroite,
Larme où frémit, caché, le plus pur sang du coeur.

Celui qui fit mon être (il ne m'en a rien dit),
Veut-il pour moi le Ciel ou bien l'Enfer maudit ?
Mais du pain, une femme et du vin sont richesse,
Garde pour toi le Ciel auquel tu fais crédit.

Bien que le vin m'ait nui (les censeurs le défendent),
Fidèle, j'en boirai, mes rêves en demandent...
Mais les marchands de vin font mon étonnement :
Peuvent-ils acheter meilleur que ce qu'ils vendent?

Avant que sur ton front le doigt fatal se pose,
Ordonne qu'on t'apporte un vin couleur de rose.
Pauvre sot, crois-tu donc être un rare trésor,
Et que l'on te déterre après ta bière close ?

Conforte-moi d'un vin méritant bon accueil,
Donne à ma peau le ton du rubis charmant l'oeil,
Enfin, lave de vin ma dépouille mortelle,
Et du bois de la vigne alors fais mon cercueil.

De l'infini profond les cieux versent des fleurs,
La rosée au jardin verse en riant ses pleurs,
La tasse aux flancs creusés nous verse le vin rose
Et les soleils couchants, eux, versent les douleurs.

Je bois et qui boit a comme moi la raison saine.
Si je bois, c'est pour Lui pardonnable fredaine.
Dieu, dès le premier jour, savait que je boirais,
Puis-je, en ne buvant pas, rendre sa science vaine ?

Ah ! ne laisse jamais la tristesse t'atteindre,
Et d'absurdes soucis troubler tes jours, t'étreindre.
N'abandonne ni fleurs, ni livres ni baisers
Avant que le destin furtif vienne t'éteindre.

Bois ! le vin chasse au loin les misères abjectes
Et vos pensers troublants, Soixante-douze sectes !
Ne fuis pas l'alchimiste, il saura dissiper
En toi mille soucis, soucis dont tu t'affectes.

Le vin prohibé, tout dépend du personnage
Qui le boit, de son prix et du compagnonnage.
Ayant réalisé ces trois conditions, Dis :
« Qui donc boit d u vin, qui, si ce n'est le sage ? »

Verse-moi ce rubis dans un brillant cristal ;
Compagnon familier de l'esprit libéral,
Toi qui sais que ce monde, apparence, poussière,
n'est qu'un souffle, du vin ! conseiller amical.

Debout ! sers le remède au coeur lassé, morose.
Verse le vin musqué, le vin de couleur de rose,
Antidote puissant à tristesse, à chagrin :
Donne le vin, rubis, et le luth, virtuose.

Bois du vin car ce vin, c'est la vie éternelle,
C'est ce qui reste en toi de la jeune étincelle :
Comme le feu brûlant, il change les chagrins
En une eau généreuse et vitale, nouvelle.

Le vin au ton rosé, l'eau des roses... peut-être !
Dans le cristal est un rubis très pur... peut-être !
Dans l'eau brille un diamant liquide... peut-être !
Clair de lune est le voile du soleil... peut-être !

Hier j'ai mis ma lèvre aux lèvres de la jarre,
Pour savoir si le temps me serait large ou rare.
Ses lèvres sur ma lèvre, elle m'a répondu :
« Bois du vin, car la mort est une mer sans phare. »

Sois heureux, ô Khayyâm ! sois, étant ivre, heureux,
Sois, près de l'adorée au teint de rose, heureux.
Puisqu'à la fin de tout c'est la nuit malheureuse,
Rêve que tu n'es plus, déjà... Sois, sois heureux.


Dans la tasse l'esprit du vin pur se dilate,
En la jarre aux flancs creux est son âme écarlate,
Et rien de lourd ne peut être l'ami du vin,
Hors la tasse à la fois lourde et délicate.

Boire du vin, aimer selon sa fantaisie
Vaut mieux qu'être dévot avec hypocrisie.
Si l'ivrogne et l'amant sont voués à l'Enfer,
Nul ne voudra du Ciel... ni de son ambroisie !

Ainsi tu brisas ma cruche de vin, mon Dieu !
Fermant pour moi la porte au seul plaisir, mon Dieu !
(Oh ! oh ! puisse ma bouche se remplir de terre!)
("est moi qui bois, c'est toi qui es ivre, mon Dieu !)

Ce que je veux ? Du vin, un volume de vers,
Du pain, juste pour vivre éloigné des pervers.
Alors je serai, même au désert, près l'aimée,
Plus heureux qu'un sultan possédant l'univers.

Verse le vin couleur de tulipe nouvelle
Et tire le sang pur de la jarre fidèle ;
Hors la tasse aujourd'hui je n'ai plus un ami
Qui possède un coeur pur et dont l'âme soit belle.

À mon coeur attentif le ciel dit en secret :
« Apprends de moi les mots, l'ordre de mon [décret :
« Si j'avais pu jamais réagir sur moi-même,
« Le vin m'eût épargné, vertige, ton regret !

Tant que j'aurai du pain de quoi remplir ma main,
Quelque morceau de viande, une gourde de vin,
Et qu'à deux nous pourrons vivre en la solitude,
Nul sultan ne m'aura convive à son festin.

Si l'on t'offre du vin, il est mal qu'on s'abstienne,
Bois-en donc n'importe où, bois-en quoi qu'il advienne,
Car Celui qui fit tout s'occupe un peu de nous,
Masque comme le tien, barbe comme la mienne.


Libre, j'aurais dit Non et refermé le livre.
Si je pouvais guider mes pas, quel chemin suivre ?
Ne vaudrait-il pas mieux que, n'étant pas venu,
Je ne doive quitter ce monde... hélas ! y vivre !


Le Ramadân finit, c'est la saison des fêtes,
Saison des beaux diseurs de légendes bien faites,
Des bons marchands de rêve, amis porteurs de vin...
Enivrez-vous, coeurs las de jeûne et de retraites.

Chaque goutte de vin que verse l'échanson,
Éteint dans ton regard l'angoisse et le frisson.
Gloire à Dieu ! car le vin est un baume céleste
Et ton coeur désolé s'allège en la boisson.

Une tasse de vin vaut cent religions
Et l'empire de Chine aux vastes régions.
Le vin, rien au-dessus de ce rubis sur terre !
Est un amer donnant à nos jours leurs rayons.

Bois du vin car un jour ton corps sera poussière
Dont on fera vaisseau, jarre, tasse, aiguière.
Sois sans souci du Ciel, sans souci de l'Enfer :
Le sage tremble-t-il en regardant sa bière ?

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