Percy achète
les éditions originales dont il est assuré que la valeur croît sans cesse.
Un ouvrage tiré à cinq exemplaires sur papier de chandelle, pour qu'il
intéresse, n'exige pas qu'on le lise. Percy adore, les yeux fermés, toute
littérature à tirage restreint ; il lit, avec le même soin que la cote de
la Bourse, les catalogues des libraires. Les dosages où il excelle de
divers alcools, sa science pour corriger l'épaisseur doucereuse du kummel
avec le dépouillement d'une eau-de-vie antique, voilà par quoi il atteint
tels états de béatitude propres à l'intelligence des génies
inintelligibles. Florence, en dépit de son éternel songe, est d'une
lucidité terrible : Percy ne lui en impose plus, ni sa bibliothèque. Leur
liaison, tout de même, ne se fût point si tôt dénouée ; car il est
croyable que dans l'agrément que lui donnait ce commerce, tout n'était pas
que littérature ; mais elle ne résista pas à l'influence d'une déplorable
dame installée céans, sous le prétexte d'instruire ma nièce Eliane Harry
Maucoudinat.
Je me rappelle ce jour de février où nous la vîmes pour la première fois.
Nous finissions de déjeuner. Maucoudinat avait demandé de ces verres
évasés dont usent les Fils pour goûter les vins : il emplit le sien et
celui de Percy Larousselle. Ces deux messieurs y fourrèrent ensemble le
nez ; puis, ayant reniflé de concert, élevèrent le précieux liquide dans
le soleil, y firent étinceler des rubis et, enfin, tombèrent d'accord sur
la perfection de ce Léoville 1893, cependant que dans un lavabo ad hoc,
ils rinçaient leur verre pour une autre expérience. Un tact très fin
toujours me préserva d'imiter ces rites : si les Fils ont la bonté de
feindre d'ignorer mes origines, il m'appartient de ne leur point donner
sujet de s'en souvenir. Florence était, selon sa coutume, indifférente,
muette, à mille lieues de cette dégustation. |