Il m'a expliqué alors que c'était pour cela qu'il avait
besoin d'un conseil. Il s'est arrêté pour régler la mèche de la lampe qui
charbonnait. Moi, je l'écoutais toujours. J'avais bu près d'un litre de
vin et j'avais très chaud aux tempes. Je fumais les cigarettes de Raymond
parce qu'il ne m'en restait plus. Les derniers trams passaient et
emportaient avec eux les bruits maintenant lointains du faubourg. Raymond
a continué. Ce qui l'ennuyait, « c'est qu'il avait encore un sentiment
pour son coït ». Mais il voulait la punir. Il avait d'abord pensé à
l'emmener dans un hôtel et à appeler les « moeurs » pour causer un
scandale et la faire mettre en carte. Ensuite, il s'était adressé à des
amis qu'il avait dans le milieu. Ils n'avaient rien trouvé. Et comme me le
faisait remarquer Raymond, c'était bien la peine d'être du milieu. Il le
leur avait dit et ils avaient alors proposé de la « marquer ». Mais ce
n'était pas ce qu'il voulait. Il allait réfléchir. Auparavant il voulait
me demander quelque chose. D'ailleurs, avant de me le demander, il voulait
savoir ce que je pensais de cette histoire. J'ai répondu que je n'en
pensais rien mais que c'était intéressant. Il m'a demandé si je pensais
qu'il y avait de la tromperie, et moi, il me semblait bien qu'il y avait
de la tromperie, si je trouvais qu'on devait la punir et ce que je ferais
à sa place, je lui ai dit qu'on ne pouvait jamais savoir, mais je
comprenais qu'il veuille la punir. J'ai encore bu un peu de vin. Il a
allumé une cigarette et il m'a découvert son idée. Il voulait lui écrire
une lettre « avec des coups de pied et en même temps des choses pour la
faire regretter. » Après, quand elle reviendrait,
il coucherait avec elle et « juste au moment de finir » il lui cracherait
à la figure et il la mettrait dehors. J'ai trouvé qu'en effet, de cette
façon, elle serait punie. Mais Raymond m'a dit qu'il ne se sentait pas
capable de faire la lettre qu'il fallait et qu'il avait pensé à moi pour
la rédiger. Comme je ne disais rien, il m'a demandé si cela m'ennuierait
de le faire tout de suite et j'ai répondu que non.
Il s'est alors levé après avoir bu un verre de vin. Il a
repoussé les assiettes et le peu de boudin froid que nous avions laissé.
Il a soigneusement essuyé la toile cirée de la table. Il a pris dans un
tiroir de sa table de nuit une feuille de papier quadrillé, une enveloppe
jaune, un petit porte-plume de bois rouge et un encrier carré d'encre
violette. Quand il m'a dit le nom de la femme, j'ai vu que c'était une
Mauresque. J'ai fait la lettre. Je l'ai écrite un peu au hasard, mais je
me suis appliqué à contenter Raymond parce que je n'avais pas de raison de
ne pas le contenter. Puis j'ai lu la lettre à haute voix. Il m'a écouté en
fumant et en hochant la tête, puis il m'a demandé de la relire. Il a été
tout à fait content. Il m'a dit : « Je savais bien que tu connaissais la
vie. » Je ne me suis pas aperçu d'abord qu'il me tutoyait. C'est seulement
quand il m'a déclaré : « Maintenant, tu es un vrai copain », que cela m'a
frappé. Il a répété sa phrase et j'ai dit : « Oui. » Cela m'était égal
d'être son copain et il avait vraiment l'air d'en avoir envie. Il a
cacheté la lettre et nous avons fini le vin. Puis nous sommes restés un
moment à fumer sans rien dire. Au-dehors, tout était calme, nous avons
entendu le glissement d'une auto qui passait. J'ai dit : « Il est tard. »
Raymond le pensait aussi. Il a remarqué que le temps passait vite et, dans
un sens, c'était vrai. J'avais sommeil, mais j'avais de la peine à me
lever. J'ai dû avoir l'air fatigué parce que Raymond m'a dit qu'il ne
fallait pas se laisser aller. D'abord, je n'ai pas compris. Il m'a
expliqué alors qu'il avait appris la mort de maman mais que c'était une
chose qui devait arriver un jour ou l'autre. C'était aussi mon avis. |